Néanmoins, après avoir repris les derniers éléments météo, je décide de tenter d’y aller avec la possibilité de se dérouter sur le terrain prévu pour ce soir : Stokmarknes.
Le plan de vol a été accepté. La tour nous informe de passages nuageux bas vers la sortie du fjord de Tromsø. Je prends acte et vérifie sur la carte si le demi-tour dans le fjord est bien possible (largeur suffisante).
La dernière information ATIS de Tromsø indique :
Ici Tromsø Information Sierra, enregistrée à 09h20 GMT. Piste en service 01. Approche IFR ILS 01. Piste mouillée. Niveau de transition 85. Vent au sol 030° pour 10 Kt. Visibilité supérieure à 10 Km. Quelques nuages à 700 Ft (230 m), couche nuageuse quasi soudée à 1.200 Ft (400 m), couche compacte à 3.000 Ft (1.000 m). Température au sol 8 °C, point de rosé 7 °C, pression atmosphérique 1013. Pas de changements significatifs dans les deux heures. Vent à 2.600 Ft (au-dessus du fjord de Tromsø) : 230° pour 7 Kt.
En gros, il n’est pas possible de voler au-delà de 1.200 Ft (la réglementation norvégienne impose 5 Km de visibilité horizontale et 1.000 Ft de plafond). J’ai tout juste les minimas opérationnels pour le VFR. On y va quand même. J’ai l’expérience de l’Afrique et de ses saisons des pluies, et je garde des portes de secours si la situation est plus dégradée qu’indiquée.
La tour de Tromsø nous autorise au décollage à 09h35 GMT. Je mets en services les servitudes électriques de chauffage des parties importantes de l’avion (pitot et préchauffe l’hélice).
Décollage pour le Cap Nord à 9h40 GMT.
Je stabilise à 1.000 Ft par-rapport à la mer. La sortie du fjord est limite et je décide de passer par la côte plutôt que de slalomer dans des fjords dont les sommets sont pris.
Tromsø nous demande de faire des comptes-rendus de position toutes les 5 minutes. En conditions dégradées, dans des fjords dont les sommets sont pris, ils s’assurent que tout va bien. La sortie du fjord de Tromsø est laborieuse. Nous arrivons sur la côte escarpée de la mer de Norvège. Prise de cap sur Hasvik où se situe un terrain (ENHK). La météo reste assez mauvaise. Nous sommes parfois tenus de descendre à 500 Ft (150 m) au-dessus de la mer pour garder la visibilité nécessaire. Nous passons au nord de l’île de Sørøya où se situe Hasvik.
Je ne peux pas prendre trop de photos devant assurer la navigabilité par cette météo dégradée. Nous passons les fjords un à un par leur embouchure. Le GPS indique que nous passons les 70° 30′ N à 10h10 GMT.
Nous arrivons à la pointe nord-ouest de l’île de Ingøya. Les nuages descendent et j’évale si je dois continuer ou pas. La température est positive de 5 °C, donc, pas de givrage cellule possible (moteur non plus car c’est un moteur à injection). J’ai dû descendre à 500 Ft sol. Je perds le contact avec Tromsø et le transpondeur ne semble plus recevoir l’écho du radar secondaire. Bon. Nous sommes à 15 minutes du Cap Nord. J’essaie de contacter l’aérodrome de Honningvåg où je dois atterrir sur 119,800 MHz. Elle me reçoit 3 sur 5. Le terrain est QGO avec des passages nuageux à 300 Ft, et le gonio est en rade.
J’informe mes passagers que la piste de Honningvåg est fermée cause météo. Ils me demande s’il est possible de passer vertical le Cap Nord sans prendre de risque. J’accepte, car la visibilité horizontale reste bonne même si le plafond est bas. Honnigsvåg m’informe que Tromsø reste bon à l’atterrissage et qu’elle a avertit le contrôle régional de ma position.
Nous approchons du Nordkapp. Le GPS indique 71°07’35″N. Nous voyons au loin le Cap dans les nuages.
Sur le Cap Nord, moins de nuages comme si il y avait un phénomène local. Nous survolons ce lieu mythique, point du continent le plus au nord de l’Europe. Nous voyons bien le globe et ses médaillons. Le site est grand et très touristiques sur un promontoire élevé (environ 300 m de la mer). Nous informons Honningvåg de notre position.
71°10’21″N, nous voici face à l’océan Arctique qui s’étend d’ici jusqu’au détroit de Bering en passant par le Pôle Nord, qui est à 1.130 NM face à nous, soit 2.092 Km. Après ce petit moment d’émotion vite passé, je décide de reprendre le cap au Sud pour aller rejoindre notre destination finale. Nous relongeons la côte, car le vol de fjords à fjords peut s’avérer dangereux.
A nouveau, les fjords défilent à notre gauche cette fois. Cela donne une ambiance de fin de monde, là où il ne faut pas s’aventurer. Un endroit mystique sous la protection des dieux Scandinaves, Thor et Odin 🙂 ! Cela me fait penser au clip vidéo de Sigur Ròs Glósóli sur la fin.
Nous quittons Honnigvåg pour recontacter Tromsø Approche sur 123,750 MHz. Ceux-ci nous donnent la dernière météo de Stokmaknes où nous nous dirigeons désormais. Nous volons à nouveau assez bas vers 700 Ft (230 m par-rapport à la mer). Après avoir passer le fjord de Tromsø, ceux-ci nous demande de contacter Andenes Militaire 118,200 MHz. Nous pénétrons dans le fjord d’Andenes car au-delà, le brouillard va jusqu’à la mer. Nous devons donc passer par les fjords pour finir les 15 NM (28 Km) qui nous séparent de notre destination qui se situe au milieu des îles Lofoten dont les sommets culminent à plus de 2.000 Ft (600 m). Nous devons donc slalomer entre les îles dont les sommets sont pris dans la couche. Bel exercice de style 🙂 !
Andenes Mil est inquiet car sur leur terrain, c’est QGO (visi nulle, pas de plafond). Ils me demande une position toutes les 5 minutes et m’annoncent qu’ils ne reçoivent plus mon transpondeur, car nous sommes trop bas. Je leur annonce que nous avons plus de 10 Km de visi, mais que nous sommes à 700 Ft par sécurité. Etant donné que la dernière météo de Skågen/Stokmaknes (ENSK) qu’ils me donnent est suffisante, je poursuis le vol vers notre destination.
Je passe d’un fjord à l’autre pour rejoindre notre terrain qui ne se situe plus qu’à 7 NM. J’appelle Stokmaknes Info sur 120,450 MHz. Une norvégienne nous répond faiblement. D’un autre côté, je perds je contact radio avec Andenes Mil. Nous sommes à 5 NM de Skågen.
Je distingue la piste au bout de l’île. Je reçois maintenant mieux la voix de notre contrôleuse. Elle m’annonce que la piste 09 est en service, avec un vent de 060° pour 8 Kt, température 11 °C, point de rosée 8 °C, pression atmosphérique de 1011 HPa.
J’annonce que j’effectue une vent arrière main gauche pour la piste 09 et je prépare la machine pour l’atterrissage. Nous posons à 12h50 GMT après 3 heures de vol en conditions dégradées.
Nous ne refuellons pas, car demain, nous partirons pour Stockholm avec une escale à Narvik/Eneves en Norvège pour l’essence et la douane. Skågen/Stokmaknes n’est pas douanier et n’a pas de AVGAS 100 LL. Je fais le point sur le carbutant. Il me reste 1h40 d’essence pour 13 minutes de vol. Ça ira :p !
Une fois au sol, nous sommes super bien accueilli par les autorités de ce petit aérodrome dont la piste fait 900 m, mais est équipée nuit et IFR pour des vols domestiques de Dash 8.
On nous offre du pain, du café et du thé. L’hospitalité des îles Lofoten est légendaire. On se met en 4 pour nous faciliter l’escale (appel d’un taxi, stockage de l’avion, etc…). Le Chef d’Aérodrome est un jeune grand blond d’environ 25 ans, au sourire très poli, qui nous explique en anglais qu’il est en poste depuis quelques semaines. Il gère 3 pompiers, 2 agents AFIS et 2 personnels d’entretien. Les petites pistes en Norvège (comme en Islande) sont subventionnées pour permettre la continuité territoriale et l’accès facile aux populations, notamment durant la grande nuit et l’hiver où les routes sont difficiles. Je me lance en norvégien avec lui et il apprécie particulièrement cet effort. Il me raconte qu’en vacances en France, personne ne parlait l’anglais ni l’allemand, et qu’il a galéré un maximum pour se faire comprendre.
« You seem to be the exception !« , me dit-il avec un grand sourire 🙂 !
En face de la piste, une chapelle avec des tombes. Je lui demande ce que c’est. Il prend un air hyper sérieux et me dit :
« There are the tombs of pilots missed the runway during their approch ! » (Ce sont les tombes des pilotes qui ont loupé la piste à l’approche).
Devant mon air perplexe, il se met à éclater de rire et me dit que ce sont des tombes de marins disparus en mer, ce qui est courant aux îles Lofoten.
L’avion est bâché. Il est temps de prendre congé. Dans les bureaux des pompiers, opérations, tout le monde est en chaussettes, et les chaussures sont toutes rangées sur une étagère devant la porte. Le grand blond nous salue en se déchaussant et en retournant à son bureau. Très fun, l’esprit norvégien !
Le taxi est là. Nous partons pour l’hôtel dans un petit village de pêche appelé Melbu.